
Lorsque les premiers rayons de soleil eurent traversés la fenêtre de la chambre du jeune Henry, celui-ci se réveilla aussitôt. La lumière le réveillait toujours instantanément, même s’il se sentait malade ou fatigué lorsqu’elle se met à taper à sa fenêtre. Une fois réveillé, il lui était toujours impossible de se rendormir, ce qui était un avantage certain lorsqu’il fallait se lever tôt pour travailler à la ferme où il habitait avec son père. Henry enfila un jean et un tee-shirt et descendit l’escalier de bois qui grinçait à chaque pas. Arrivé à la cuisine, il vit son père qui était déjà debout en train de prendre son café et lire le journal. Comme à son habitude, il lui dit à peine bonjour lorsqu’Henry commença à verser les céréales dans son bol. Une fois qu’Henry eu finit son petit déjeuner, son père l’envoya couper le maïs à la faucheuse dans le vaste champ qui entourait la petite maison en bois aux planches vermoulues. Henry s’exécuta, alla chercher sa fauche dans la cave, et commença à tailler le maïs. Cette tâche avait tendance à l’angoisser. Non pas parce que le métier était éprouvant physiquement, mais parce qu’on ne voit rien à l’horizon à part l’immense champs de maïs. Et les épouvantails qui faisaient office de gardiens des lieux.
C’est d’ailleurs un des épouvantails qui fit interrompre Henry dans son travail. De l’épouvantail situé à quelques mètres sur sa gauche, des petits miaulements surgirent. Les chats se retrouvaient souvent coincés dans le ventre des gardiens des lieux lorsque la nuit tombe et qu’ils avaient besoin d’un endroit où se réchauffer. Henry prit sa faucheuse et s’approcha des miaulements. En arrivant en face de l’épouvantail, il vit que la provenance du bruit venait de la citrouille qui faisait office de tête. Deux grands trous aux allures menaçantes dessinaient les yeux et une grande bouche était creusée en grandes dents pointues. Henry s’approcha tout doucement de la tête pour la retirer et faire libérer le chat qui était à l’intérieur. Mais lorsqu’il s’apprêtait à soulever la citrouille, deux yeux humains surgirent des orifices de l’épouvantail. Surpris, Henry bascula en arrière et tomba, manquant d’atterrir sur la lame de sa faucheuse. L’instant d’après, il entendit un grand rire enfantin, et vit l’épouvantail lever ses bras de paille pour retirer sa tête de citrouille où un visage d’enfant apparut. C’était Benoît, le fils du charcutier du coin :
- Haha, pauvre andouille. Tu aurais dû voir ta tête !
- Imbécile, répliqua Henry, j’aurai pu me blesser en tombant sur ma faucheuse.
- Peu importe, ça valait le coup. Allez, va pleurer chez papa pauvre naze !
Henry ne pleura pas, mais éprouvait une sorte de lassitude avec toutes ces blagues débiles qui se multipliaient depuis quelques temps. En fait, les blagues se multipliaient depuis la disparition de la mère il y a deux mois, qui angoissait énormément son père. Henry rentra chez lui, l’air blasé. Son père lui demanda ce qu’il s’était passé, et éprouva lui aussi une grande lassitude vis-à-vis des derniers évènements. Surtout concernant la disparition de sa femme. Il dit à son fils d’être fort avec tout ce qui leur tombait sur la tête en ce moment. Et d’être encore plus fort dans les jours à venir, car il devait aller rencontrer les détectives privés qu’il avait embauché pour retrouver sa femme :
- Je vais devoir m’absenter pour rencontrer des gens qui m’aident à retrouver Maman, dit-il à Henry. Tu vas devoir rester seul ici un jour ou deux. Il va falloir te montrer encore plus courageux.
- Tu vas me laisser tout seul ici, dans cette maison sinistre au milieu de ce champs de maïs ?
- Oui, le travail doit avancer et je ne veux pas qu’on se fasse piller comme la dernière fois. Si quelqu’un s’introduit chez nous, tu n’hésites pas : tu prends le fusil caché sous le canapé et tu tires.
- D’accord papa, mais ne soit pas trop long. Je trouve cet endroit très oppressant.
- Tu fais toujours des cauchemars avec des épouvantails, c’est ça ?
- La nuit dernière, j’ai rêvé qu’ils entraient chez nous et qu’ils enlevaient maman. C’est stupide, je sais…
- Ce n’est pas stupide. Avec le traumatisme que ça a été, je comprends tout à fait. Je dois partir à présent. Sois brave mon fils.
Le père d’Henry prit son sac à dos, ses clefs et démarra son 4x4 pour aller se rendre en ville. Henry vit le véhicule s’éloigner sous un nuage de poussière avant de se retrouver seul au milieu de ce champs de maïs. En observant l’horizon, il vit qu’un des épouvantails avait été retourné. Encore une blague de ce maudit fils du charcutier, se dit-il. Il ne trouva pas la motivation pour retourner à travailler. Si les récoltes n’avançaient pas avant le retour de son père, cela risquait de chauffer pour lui. Mais ça lui était égal. Il était épuisé psychologiquement. Il s’allongea sur le canapé du salon et trouva le sommeil en quelques minutes. Comme à chaque fois qu’il dormait, les cauchemars firent vite leurs apparitions. Henry se vit seul la nuit dans sa chambre, avec tous les épouvantails réunis autour de la maison avec leurs têtes de citrouilles menaçantes dont les yeux étaient remplis de flammes. Il les vit s’avancer petit à petit vers la maison avant de se réveiller en hurlant. Le traumatisme fut tel, qu’Henry se mit à chercher le fusil sous le canapé. Mais il ne trouva rien. A la place du fusil, il trouva un livre écrit par un certain Karl Epouvantarx. Le titre s’intitulait « Manifeste du parti épouvantiste ». Henry s’imagina que c’était une nouvelle blague d’un des enfants de la ville, et jeta le livre dans un coin du salon.
Sa sieste avait duré une bonne partie de la journée. Quand il remit les pieds dehors, il était aux alentours de 16 heures. Henry se dit qu’il fallait qu’il se remette à travailler. Il franchit la porte de la maison, descendit du perron et reprit sa faucheuse et se dirigea vers les champs de maïs. Mais alors qu’il allait reprendre le travail, il s’aperçut qu’une partie du champ avait été aplatie. Il s’en voulu d’avoir laissé la propriété de son père sans surveillance. Cependant, tout le champ n’avait pas été touché. Certains endroits avaient été aplatis et d’autres non. Henry se dit qu’un message se verrait peut être vu du ciel, comme pour les crop circle. Il se mit à courir vers la maison et alla chercher le drone qu’il avait reçu à Noël sur lequel il avait rajouté une caméra. Il l’alluma et grâce à sa télécommande à distance et le drone prit son envol en décollant de la fenêtre de sa chambre pour aller survoler le champ pour voir s’il y avait un signe qui avait été dessiné avec l’aplatissement de certains plants de maïs. Henry alluma son petit poste de télévision qui diffusait ce que son drone filmait. Ce qu’il vit le laissa sans voix. Au milieu du champ de maïs de trouvait un crop circle représentant une faucille et un marteau.
Un crop circle communiste et un livre étrange trouvé sous le canapé s’inspirant de Karl Marx, tout ceci n’était vraiment pas normal. Même si son père n’aimait que son fils l’appelle sur son portable, car il soupçonnait toujours que c’était pour annoncer une mauvaise nouvelle, Henry prit son courage à deux mains et l’appela :
- Allô Papa ?
- Henry ? Pourquoi m’appelles-tu ? Tu ne travailles pas au champ ?
- Si Papa, mais… il se passe des choses étranges ici ! Il faut que tu reviennes !
- Ecoute Henry, ne… ne soit pas inquiet. Quoi qu’il arrive, ce ne sont probablement que des blagues des gens de la ville. Tu sais bien qu’ils nous détestent car ils nous tiennent responsables des mauvaises récoltes de ces dernières années. Ce ne sont que des imbéciles !
- Je t’assure Papa que ça m’a l’air d’être autre chose que des blagues. Cet après-midi j’ai découvert…
- On verra ça plus tard, interrompit son père. Ecoute, je… je n’ai pas trop le temps de papoter là. Je suis avec les messieurs qui enquêtent sur la disparition de Maman. Soit brave mon fils.
Et il raccrocha. Henry se retrouva donc seul. Et la nuit commença à tomber. L’idée de passer la nuit au milieu de ce vaste champ où il se passait des choses anormales le terrorisait. Il ne pouvait pas rester ici. Il prit son vélo pour se diriger vers la ville et parler de tout ceci à la personne qu’il trouverait. Après tout, il y avait des preuves, les gens seraient forcés de le croire. Henry commença à pédaler à travers le champ de maïs. Chaque coup de pédale était difficile dans cette terre retournée et les épis de maïs se dressait contre lui à chaque mètre parcouru. Au bout de plusieurs minutes, il voulut reprendre son souffle. C’est alors qu’un étrange individu sursauta. Il était muni d’un pendule et semblait sortir tout droit d’un vieux film de sciences fiction avec ses grosses lunettes de presbyte, ses cheveux clairsemés et sa vieille chemise à rayure :
- Qui êtes-vous, demanda Henry ?
- Pardon… Vous êtes le propriétaire des lieux ? On m’avait signalé la présence d’un crop circle ici. Je suis là pour détecter les énergies de ce lieu. Pour connaître son origine.
- Il n’y a rien à chercher, ce sont les débiles de la ville qui ont fait ça. Ils passent leur temps à faire des blagues. Vous devriez rentrer chez vous, il va bientôt faire nuit.
- Mon jeune ami, je doute que ce crop circle soit d’origine humaine. Mon pendule a détecté des énergies qui me sont inconnues. Il faut que je poursuive mes recherches.
- Si vous y tenez, mais vous perdez votre temps.
Henry reprit sa course, en affrontant à nouveau ce champ sans fin. Après une trentaine de minutes de pédalage, il ne dit qu’il allait bientôt arriver au bord de la route. Il reconnaissait les lieux, il y était presque. Mais alors qu’il s’attendait à arriver près de la route, il aperçut… sa maison. Il avait fait le chemin des centaines de fois, il était sûr qu’il ne s’était pas trompé. Mais il était bien revenu à son point de départ. Comme s’il avait tourné en rond. Il refit à nouveau le trajet. Mais il arriva à nouveau devant sa maison comme la dernière fois alors qu’il pensait arriver au bord de la route. Il s’apprêta à refaire un essai, mais il entendit un affreux cri en provenant de la porte de la maison suivit d’un appel à l’aide. Henry se précipita en direction de la porte. Arrivé au perron, il vit par terre le pendule dont se servait l’étrange énergumène qu’il avait rencontré il y a une heure. Il ouvrit sa porte, et ce qu’il vit le conduisit au bord de l’évanouissement.
Sur l’autre côté de la porte d’entrée qu’il venait d’ouvrir se trouvait l’étrange personnage qui analysait le crop circle cloué sur la porte. On lui avait planté un clou dans chaque main et chaque pied. Son visage était déformé par l’horreur, s'exprimant avec difficulté :
- Les… les épouvantails. Ce sont les épouvantails…
- Ce sont eux qui vous ont fait ça ?
- Oui… Ils… Ils recherchent quelque chose… Le… Le…
Ce furent les dernières paroles de cet homme original. Il faisait à présent nuit noir et Henry se retrouvait seul dans la maison qu’il cherchait à fuir et avec un cadavre chez lui. Mais si jamais on le capturait en fuite avec un mort chez lui, il risquait de passer pour le coupable. Il lui fallait donc emporter une preuve pour éviter de se faire accuser à tort.
L’homme des crop circle avait parlé de quelque chose que les épouvantails cherchaient avant qu’il ait donné son dernier souffle. En y réfléchissant, Henry se dit que ça ne pouvait être que le livre écrit par Karl Epouvantarx intitulé « Manifeste du parti épouvantiste ». Il se souvint qu’il l’avait trouvé sous le canapé, puis qu’il l’avait jeté dans un coin du salon. Il se précipita donc dans cette pièce, mais lorsqu’il arriva sur les lieux il ne trouva pas le livre qu’il avait jeté. Les Epouvantails s’en étaient-ils emparés après avoir tué ce pauvre homme ? A présent, il lui fallait fuir, sous peine d’être le prochain sur la liste.
Henry courut vers sa chambre, prit un sac et y remplit tout ce qu’il pouvait emporter : des vêtements, de la nourriture et des affaires de toilettes. En tentant de fuir la première fois, il n’avait pas réussi à retrouver la route, mais il devait retenter le coup. Rester dans cette maison l’exposait à de trop grands risques. Et son père qui ne le rappelait toujours pas…
Il mit son sac sur le dos, et se précipita vers l’entrée. Il fit attention à ne pas toucher le cadavre cloué sur la porte et sortit de la maison. Mais à peine à l’extérieur, il fut aveuglé par une lumière qui devait être des phares de voiture. Était ce son père qui était de retour ? Ca ne pouvait être que lui. Henry attendit sur le perron que la voiture se rapproche. Mais elle ne ressemblait pas au 4x4 de son père. C’était une voiture de police. La voiture de police s’immobilisa devant la maison et deux policiers sortirent en trombe pour pointer leurs armes vers Henry :
- Police ! Main sur la tête !
- Exécution !
Henry posa son sac par terre et obéit. Les policiers s’approchèrent de lui, le plaquèrent à terre et lui enfila les menottes. Totalement sous le choc, il ne se fit pas prier pour se faire embarquer à l’arrière de la voiture. Les policiers reprirent leur place à l’avant du véhicule et celui assit sur la place du mort prit la parole :
- Alors comme ça, on tue des gens comme ses parents hein ?
- De quoi est-ce que vous parlez ? demanda Henry faiblement.
- Ne te fous pas de nous, petit blanc bec. Tes parents sont recherchés depuis un moment pour meurtre. On a arrêté ta mère il y a deux mois et on vient de coincer ton père. On débarque ici et on te trouve avec un cadavre cloué sur la porte.
- Mais ce n’est pas moi ! Ecoutez, il se passe des choses étranges ici. Les épouvantails vivent. Cet homme me l’a dit avant de mourir. Ils sont à la recherche d’un bouquin : « le manifeste du parti épouvantiste ». Ils ont créé un crop circle dans notre champ qui représente une faucille et un marteau. Ils cherchaient probablement ce livre qui a dû être écrit par un de nos épouvantails pour répandre leur idéologie à travers tout le pays !
- Non mais tu l’entends ce jeune freluquet ? Il est complétement fou. Bon à enfermer. Des épouvantails qui vivent… Et pourquoi pas des nains de jardins mangeurs d’hommes pendant qu’on y est ? répondit le policier assit sur le siège avant droit du véhicule.
- L’homme qui nous a appelé pour signaler ce meurtre nous avait bien dit qu’il serait totalement dérangé, répliqua le policier situé au volant.
- Oui, c’est vrai. Il avait un drôle de nom cet homme d’ailleurs. Comment s’appelait il déjà ?
- Karl Epouvantarx je crois.
Henry resta sans voix à l’évocation de ce nom. La voiture démarra, et ils finirent par rejoindre la route qui longeait leur champ de maïs. Henry, dépité par cette situation, laissa sa tête se coller contre la vitre. Arrivé à un stop, il vit un de leurs épouvantails sur le bord de la route. Les policiers regardaient droit devant eux et n’assistèrent donc pas à ce qu’Henry voyait. L’épouvantail se mit à lever son bras droit avec un poing serré. Avec un grand sourire illuminant sa tête de citrouille.
FIN
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