
Un pas rapide dans une flaque d’eau en pleine nuit. Puis un autre. Et encore un autre. L’homme qui courait pour sa vie commençait à manquer de souffle tant cette poursuite, initiée par le gélatineux Blob vert qui avait manifestement un petit creux, s’éternisa. L’homme qui était chassé était Guillaume Nourrice : un petit chroniqueur qui produisait des chroniques quotidiennes pour la radio du parti unique antispéciste. Son travail consistait à écrire ces chroniques et les lire à l’antenne sur un ton humoristique tout en défendant la ligne du parti qui défendait à quiconque d’établir une hiérarchie entre les êtres vivants. Guillaume Nourrice aimait ce métier, même s’il savait parfaitement conscience qu’il travaillait pour un parti totalitaire. Il sentait qu’il n’était pas un mauvais bougre malgré cet état de fait car à travers ses chroniques, il défendait le vivant. N’était ce pas là une noble cause ?
Il se souvint des nombreuses fois où il prit la défense de l’espèce extraterrestre qui avait débarquée sur Terre il y a de cela 4 ans et dont l’un de ses représentant était actuellement en train de la poursuivre pour probablement lui manger le cerveau. Car oui, le cerveau humain était la nourriture favorite des Blobs. L’humanité ne s’y est pas rendu compte immédiatement lorsque les quelques premiers milliers de Blobs s’étaient installés sur Terre pour fuir une terrible guerre stellaire se déroulant sur leur monde. Ce n’est qu’après avoir découvert des restaurants clandestins tenus par des Blobs que les services d’hygiène ont découvert l’affreuse vérité. Et au lieu de se débarrasser des Blobs, le gouvernement antispéciste planétaire appela à la tolérance des citoyens face à une forme de vie en souffrance d’avoir dû quitter leur monde et de devoir se nourrir de cerveaux pour survivre.
Cette mesure gouvernementale n’avait pas été du goût de tout le monde. De nombreux citoyens avaient exigé que les Blobs soient expulsés par crainte de les voir se faire capturer et dévorer le cerveau par ces nouveaux arrivants. Mais le parti unique antispéciste ne pouvait tolérer qu’une espèce puisse être traitée différemment des autres car cela rendrait leur idéologie totalement obsolète et leur ferait perdre toute crédibilité. Le gouvernement mondial décida donc de durcir les comportements réfractaires provenant de la population autochtone, c’est-à-dire les êtres humains. Toute critique envers la présence des Blobs sur Terre entrainerait 10 ans de prison ferme sans remise de peine possible. Des caméras étaient à présent installées dans chaque coin de rue et dans chaque maison des citoyens pour surveiller leurs conversations afin de prévenir d’éventuels passage à l’acte contre les Blobs. Et Guillaume Nourrice, le bouffon du roi de l’antispécisme, était à présent à deux doigts de se faire dévorer par un membre de cette espèce qu’il avait contribué à faire rester sur Terre…
Mais dans sa course folle pour la survie dans cette interminable nuit noire, il finit par apercevoir une lumière. Sa faible et douce luminosité lui faisait penser à une lumière émise par une lanterne. Une habitation devait donc être dans le coin. Guillaume Nourrice engagea ses dernières forces à rejoindre cette lueur d’espoir. Arrivé prêt de cette lanterne, il vit une grande maison qui était peinte de noir pour se camoufler la nuit contre les Blobs qui avaient des difficultés à distinguer les couleurs la nuit. Lorsqu’ils étaient en chasse de nuit, c’est davantage l’odeur des cerveaux qui les guidaient dans leur course. Guillaume Meurice frappa de toutes ses forces sur la porte d’entrée. Le Blob se rapprochait de plus en plus. Il se mit à hurler tout en frappant la porte. D’un coup, la porte s’ouvrit. Une main le prit par le col et le fit entrer dans la maison. La porte fut immédiatement refermée puis les verrous activés. Le chroniqueur reprit ses esprits et fit que l’ensemble des fenêtres avaient été protégés par des rideau de fer. Il commença à se sentir en sécurité. Il leva la tête vers son sauveur pour le remercier de lui avoir sauvé la vie. Mais ce dernier pointa vers lui son fusil et commença à l’interroger :
- Qui êtes-vous ? Que faisiez-vous dehors en pleine nuit ? Vous êtes totalement inconscient avec tous ces Blobs qui trainent dans le coin. Vous voulez vous faire dévorer ou quoi ? »
Guillaume Nourrice n’osa pas lui dire son nom. Il lui dit sortit un nom inventé mais son sauveur lui répondit du tac au tac :
- Ne me prenez pas pour un jambon, je sais que vous êtes Guillaume Nourrice, le chroniqueur du parti. Que diable faisiez-vous dehors cette nuit ?
- Eh bien, j’ai été retardé lors de mon retour du travail par un sans-abris qui avait été dépouillé par le parti. Il me reprochait d’être responsable de sa situation alors que je ne suis qu’un comique qui écrit pour vivre. J’ai beaucoup débattu avec lui et je n’ai pas vu passer l’heure. J’étais encore dehors lorsque la nuit a commencé à tomber et j’ai commencé à être coursé par un Blob. Merci beaucoup pour votre aide, sans vous j’y serai resté.
- Ce n’est vraiment pas malin de votre part de vous avoir mis dans cette situation. Ici, vous êtes en sécurité. Vous pourrez sortir demain matin, les Blobs s’attaquent rarement aux humains de jour.
- Oui je sais, je n’ai pas été suffisamment sur mes gardes. Il faut dire que je n’avais jamais vraiment cru à ce qu’un jour un Blob puisse vouloir me dévorer.
- Vous savez, quand ils ont faim, ils se moquent de savoir qui sera leur prochain repas du moment que celui-ci a un cerveau frais.
- Oui, je retiens la leçon.
- Venez, je vais vous présenter ma femme. Au fait, je m’appelle Stanley.
Guillaume Nourrice suivit l’homme qui lui avait porté secourt dans son salon. Cette pièce était très sombre, avec des murs habillés par du papier peint défraichi. La femme de Stanley, Sandra, était assise sur le canapé et regardait son album de photos de famille. Lorsqu’elle vit Guillaume Nourrice, elle le salua et commença à lui parler de sa vie. Mais principalement de la perte de son fils, dévoré par des Blobs il y a 2 ans. Il s’était engagé politiquement à faire partir les Blobs de la Terre. Mais une personne du parti unique a fini par connaitre son adresse et a partagé cette information aux Blobs qui l’ont dévoré. Car ceux-ci ne sont pas uniquement des mangeurs de cerveaux, ce sont aussi fervents politiciens qui n’hésitent pas à faire taire toute contestation de leur présence sur Terre avec la complicité du parti unique antispéciste. Ils n’ont par conséquent pas été inquiétés lorsqu’ils ont mangé le fils de Sandra et Stanley :
- La culpabilité est très forte, dit Sandra en larme. Nous ne savons pas ce que nous aurions dû faire. Empêcher notre fils de s’engager dans cette voie ou bien partir sur les colonies Terriennes loin de ces monstres.
- Je… Je ne sais pas quoi dire face à cette terrible épreuve. Je pensais que les Blobs chassaient uniquement par instinct de survie.
- Non, ils sont terriblement intelligents. Ils ont repéré nos failles liées à notre gentillesse et notre bienveillance envers le vivant. Ils utilisent cela contre nous. Je pense que ça a été une erreur d’envoyer Philippe faire des études d’Antispécisme. Au début il trouvait ça génial, mais le fanatisme des gens qu’il côtoyait l’a peu à peu amené à remettre en question cette idéologie…
- Heu… Attention Madame ! Le parti a des caméras et des micros partout, même dans les maisons !
- Qu’importe, nous avons tout perdu depuis la disparition de notre fils. Mais vous devez être très fatigué par votre course folle Monsieur Nourrice. Venez, je vais vous montrer où vous pourrez dormir cette nuit.
Guillaume Nourrice suivit la mère éplorée vers la chambre d’ami au deuxième étage, qui était auparavant la chambre de Philippe. Il commença à s’allonger dans le lit et commença à somnoler. Mais il aperçut sur sa droite une photo encadré du fils du couple qui l’hébergeait. Il reconnut tout de suite ce visage. C’était ce fameux militant qui avait osé critiqué l’antispécisme publiquement. Et c’est lui, Guillaume Nourrice, qui avait donné l’adresse de ce « traître » dans une de ces chroniques. Il avait appris sa mort quelques jours après.
Guillaume Nourrice fut pris de panique. Les parents qui l’avaient sauvé et hébergé l’avaient très probablement reconnu. Ils allaient de toute évidence se venger. Il le leva du lit, prit une chaise et cassa la fenêtre. Et sauta dans le vide.
Les parents du petit Philippe qui avaient entendu ce vacarme montèrent les escaliers pour voir ce qui s’était passé dans la chambre. Ils virent la chambre vide, la fenêtre cassé et sans leur invité du soir :
- Il a probablement dû voir la photo de Philippe et il l’a reconnu, dit Sandra.
- Je t’avais dit de ne pas le mettre dans l’ancienne chambre de Philippe. Evidemment qu’il allait flipper.
- C’est vrai. Mais je n’ai ressenti aucune haine lorsque je l’ai vu. Nous sommes les premiers responsables de la mort de notre fils. Si nous ne l’avions pas envoyé dans cette école d’Antispécisme alors que nous étions conseillers spéciaux du parti unique, il serait encore vivant.
- C’est vrai. Nous avons pardonné l’acte de cet homme qui n’est qu’un pion qui tente de survivre dans un échiquier trop grand pour lui. Et à présent il est dehors…
Guillaume Nourrice fit quelques pas dans la nuit. Et à peine dehors, sentit un tentacule accrocher sa jambe. Le Blob qui l’avait poursuivi tenait à présent sa proie. Guillaume Nourrice enfonça les ongles dans le sol, mais cela ne suffisait pour empêcher le Blob de le tirer vers lui.
Il tenta de donner des coups de pieds et de se débattre comme il pouvait, mais le Blob finit par l’avoir. Alors que le Blob allait commencer à lui trépaner le cerveau, le dernier réflexe de Guillaume Nourrice fut de regarder aux alentours s’il y avait des caméras de surveillance du parti. Il en repéra une et fut rassuré en se disant que malgré cette situation tragique, il n’avait jamais critiqué le parti. Alors que le Blob commença à lui aspirer le cerveau, Guillaume Nourrice sourit.
FIN
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