
Carmen Spenghetto s’apprêtait à faire l’ouverture du magasin de prêt à porter dont elle était devenue la responsable adjoint il y a un mois en cette belle matinée du moi du mai. La période des mariages approchant, elle avait bien pris soin de mettre en évidence les costumes de différents coloris en vitrine. Son supérieur hiérarchique, Robert Castagnon traversa le rayon des jeans pour y faire son inspection quotidienne. Il était homme à tout contrôler. Il pouvait sembler hautain de par son attitude à bien faire comprendre à ses subordonnés qu’il était le responsable du magasin mais même s’il était du genre tatillon en faisant des remarques pour des détails qui pouvaient paraître à première vue insignifiants, il savait aussi récompenser son équipe et les féliciter quand ils avaient connu de grosses journée comme celle qui s’apprêtait à arriver.
Après avoir fait son inspection, Robert Castagnon se dirigea vers Carmen qui s’était mis considérablement en valeur aujourd’hui avec sa nouvelle robe bleue marine de chez Channel. Il ne put d’empêcher de lui faire une petit remarque comme il a l’habitude de faire :
- Et bien ! Si habillée comme ça vous ne battez pas le record de vente sur une journée, je n’y comprendrai plus rien. D’ailleurs, n’oubliez pas que ce soir nous recevons un nouveau mannequin pour notre vitrine.
- Merci Robert. Mais vous savez, je n’ai pas besoin de ça pour améliorer mes performances. Et oui, je m’occuperai de recevoir le livreur ce soir.
- Je le sais Carmen, je vous charriais un peu. Je compte sur vous pour me faire une grosse journée.
Elle ne répondit même pas. Elle savait qu’il était homme à toujours vouloir le dernier mot, cela ne servait à rien de relancer la conversation. Au fond d’elle-même, elle connaissait ses motivations profondes. Son goût pour les vêtements était présent pour compenser l’image qu’elle avait d’elle-même. Elle n’aimait pas son physique. Non pas que c’était une femme laide, mais des années de matraquage à regarder des série ne sitcom comme « Amour, Gloire et Beauté » où seules des femmes de type mannequin étaient présentes avaient fini par lui créer des complexes. Son rêve secret était de devenir actrice pour une de ces séries, mais elle savait qu’elle ne pourrait ne serait-ce participer à un casting pour ce genre de série.
Elle fit monter les grilles de l’entrée du magasin. Les premiers clients attendaient déjà. Chacun d’eux se dirigea vers le rayon qui l’intéressait. Parmi les clients qui étaient à l’entrée, seul un n’était pas rentré dans le magasin. Brun, grand, les épaules larges et les cheveux laqués et coiffés en arrière, il semblait tout droit sorti d’un James Bond. Son regard croisa rapidement celui de Carmen, qui ne semblait pas indifférente face à la classe de ce potentiel client. Il s’approcha de l’entrée, et s’adressa directement à Carmen qui semblait intimidée :
- Bonjour mademoiselle. J’ai besoin d’une nouvelle cravate, avez-vous cela en stock ?
- Bien sûr. Veuillez me suivre, je vais vous montrer le rayon.
- Je vous remercie. Je m’appelle Lucien. Lucien Strafa.
- Enchantée, je suis Carmen. Ha nous y voilà. Dites-moi monsieur Strafa, quel style de cravate recherchez-vous ?
Le client ne répondit pas tout de suite. Il fixa Carmen dans les yeux pendant plusieurs secondes. Elle fut totalement subjuguée par ce regard. Cet échange qui ne dura que quelques secondes lui avait parut durer plusieurs minutes lorsque Lucien Strafa finit par répondre :
- Je recherche quelque chose qui irait bien avec le costume que je porte. Quelque chose de discret. J’ai une réunion importante ce matin et je me suis rendu compte que j’avais oublié de mettre ma cravate. Quel imbécile je fais.
- Non voyons, un oubli cela arrive à tout le monde. Tenez, essayez déjà celle-là.
- Merci Carmen. Mais dites-moi, ce métier vous plait ?
Carmen sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Elle avait l’habitude que la gente masculine essaya parfois de s’intéresser à elle, et jamais elle n’entrait dans ce petit jeu. Elle ne souhaitait pas être abordée sur son lieu de travail. Jusqu’à aujourd’hui. Elle répondit à cette question personnelle sans même chercher à trouver une parade pour y échapper :
- Oui, ce travail me plaît. J’aime tout ce qui touche à la mode, à la beauté. Je m’y sens dans mon univers. Et je rencontre beaucoup de monde.
- Vraiment ? Vous n’auriez pas eu envie de plus d’ambition ?
- A vrai dire, dans l’idéal j’auras aimé devenir actrice mais cela n’est pas possible.
- Ha ? Et pourquoi donc ? Belle comme vous êtes…
- Mais soyons sérieux, je ne pourrai jamais rivaliser avec les femmes magnifiques qui tournent dans les films ou les séries. Je suis bien trop banal.
- Vous voudriez être la plus belle n’est-ce pas ?
- Comme beaucoup de femmes je suppose.
- Pour toujours ?
- Pour toujours ? Oui, autant viser jusque-là, répondit-elle en souriant.
- Et si je vous disais que je peux réaliser votre rêve ?
- Pourquoi ? Vous êtes chirurgien esthétique ?
- Non, je réalise les vœux. Contre rétribution bien évidemment.
- Je vois. Comme une sorte de génie sortant de sa lampe après qu’on l’ait frottée. Mais qui demande un petit billet.
- C’est un peu ça. Si vous souhaitez que je réalise votre souhait, fermez les yeux. Et comptez jusqu’à dix.
- Et que souhaitez-vous en échange ?
- Cette cravate gratuitement. J’ai également oublié mes cartes de crédit.
- Vous êtes drôle. Bon, si vous voulez. Un, deux, trois, …
Une fois arrivée à dix, Carmen rouvrit les yeux. Le client avait disparu. Ainsi que la cravate. Sa déception fut grande, pour une fois qu’elle était abordée par un homme à son goût. La seule fois où elle relâchait sa garde, celui-ci file en volant un produit. Elle repartit s’occuper des autres clients en ravalant sa fierté.
La journée continua son fil habituel avec les allées et venues des clients. La journée avait été chargée comme prévue. Robert Castagnon n’avait pas arrête de cavaler dans tous les recoins de son magasin pour conseiller plein de clients. L’après-midi touchait à son terme et il se demanda si Carmen avait bien reçu le livreur pour le nouveau mannequin de sa vitrine. Il rechercha du regard sa vendeuse, mais ne la trouva pas. Il fit le tour des rayons, et ne vit aucune trace d’elle. Il sortit alors du magasin et vérifia sa vitrine. Le nouveau mannequin avait été mis en place. Mais un détail agaça passablement Robert Castagnon : « Elle a choisi son corps et sa tête comme modèle. C’est la dernière fois que je lui laisse le loisir de commander un mannequin personnalisé. »
FIN
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