Le Docteur Oscar Héphaïstos n’était pas très rassuré à l’idée de se rendre à l’hôpital psychiatrique de l’Olympe, à Cassis. Cet asile avait la réputation d’accueillir les cas les plus dangereux, avec de nombreux patients atteints de troubles de la personnalité. Ce lieu faisait régulièrement les titres des journaux du coin, à cause de nombreuses évasions qui ont eu lieu ces dernières années. Mais Oscar Héphaïstos considérait qu’il avait un devoir moral de répondre positivement à l’appel du Directeur de l’asile de Cassis car le manque de professionnels dans le domaine de la psychiatrie se faisait clairement sentir depuis deux ans.

 

    Le chauffeur qui conduisait le taxi où siégeait le Docteur Héphaïstos voulait en savoir plus sur la raison pour laquelle il emmenait ce dernier dans cet endroit. Le trajet durait depuis deux heures et le Docteur était à l’arrière du véhicule avec son ordinateur portable sur ses genoux. Il n’avait pas dit un mot depuis le départ, et semblait très concentré sur son écran. Mais le chauffeur ne put résister à la tentation d’en savoir un peu plus sur ce qu’il l’amenait dans cet endroit où il avait lu moultes histoires étranges :

- Est-ce la première fois que vous faites une consultation dans cet asile Docteur ? ».

- Non, je m’y rends environ une fois par an, répondit Oscar Héphaïstos qui arrêta d’un coup de taper sur son ordinateur. On m’y appelle pour les cas les plus extrêmes.

- Je vois. Il est vrai qu’on lit souvent de drôles d’histoires dans la presse concernant cet asile…

- C’est vrai. Mais rassurez-vous, une fois arrivée, je ne vous demanderai pas de m’attendre, dit Oscar Héphaïstos en essayant de détendre l’atmosphère.

- Vous savez ce qu’on dit sur cet asile ? Qu’il aurait été construit sur les ruines d’un ancien casino abandonné où ont eu lieu des disparitions inexpliquées. Allez savoir pourquoi ils ont construit un asile psychiatrique sur un endroit pareil…

- Pour des raisons budgétaires je suppose. Ce casino ne valait plus rien et personne ne voulait le reprendre. Aujourd’hui, tout est prétexte à faire des économies.

- C’est vrai. Alors que l’on paye de plus en plus d’impôts. 1,70 € le litre d’essence, ces salauds ! Ha nous sommes arrivés Docteur.

 

    Le bâtiment était sinistre. Les murs étaient sales et ne semblait pas avoir subi de ravalements depuis des décennies. La toiture était très abimée et de la mousse commençait à pousser autour des fenêtres. Le Docteur Oscar Héphaïstos rentra dans le bâtiment principal. Un large couloir de cinquante mètres de long se dressait devant le docteur, avec un simple bureau posté au milieu du couloir. Le Docteur Lionel Van Chtrome l’y attendait :

- Bonjour Docteur Héphaïstos. Avez-vous fait bon voyage ? Nous vous attendions avec impatience.

- Bonjour Docteur Van Chtrome. Le voyage a été agréable. Je suis venu pour les deux patients dont nous avions parlé hier.

- Oui, bien sûr. Venez Docteur, marchons un peu pendant que je vous donne plus de détail. Comme vous le savez, deux patients m’inquiètent tout particulièrement en ce moment. Nous leur avons diagnostiqué une grave dépression, et nous avons besoin de vous pour améliorer leur état.

- Oui, c’est ce que vous m’aviez dit hier.

- Je souhaite vous apporter quelques précisions supplémentaires Docteur Héphaïstos. Ces deux patients, en plus d’être dépressifs, souffrent de terribles troubles de la personnalité. Voyez-vous, ils se prennent pour des dieux.

- Des dieux ?

- Oui, des dieux de la mythologie grecque. L’un se prend pour Zeus, et l’autre pour Aphrodite.

- C’est assez cocasse qu’ils se retrouvent dans un asile appelé « L’Olympe », fit remarquer Oscar Héphaïstos en souriant.

- C’est vrai, c’est une sacrée coïncidence. Je voulais vous faire part de ce détail pour vous éviter une trop grosse surprise.

- Je suis prêt à les rencontrer, conclut le Docteur Héphaïstos.

 

    Le Docteur Van Chtrome accompagna le Docteur Héphaïstos vers le couloir où se trouvaient les cellules des deux patients à problème. Au cours de la marche, Oscar Héphaïstos remarqua qu’il y avait peu de personnel. Les ampoules devant éclairer le couloir avaient une faible luminosité, trahissant une fin de vie qui approchait. Les fenêtres étaient très hautes avec de solides barreaux empêchant toute évasion. Des hauts parleurs fixés au plafond diffusait de la musique classique, faisant ainsi contraste avec cet environnement anxiogène.

 

    Les deux docteurs arrivèrent devant les deux cellules auxquelles ils se rendaient. Elles étaient côte à côte : la numéro 6 et la numéro 7. Le Docteur Van Chtrome tendit les clés à son confrère et repartit vers son bureau. Oscar Héphaïstos ouvrit la cellule numéro 6 pour aller voir son premier patient, celui qui se prenait pour Zeus. Une fois entré, il referma aussitôt derrière lui. La cellule capitonnée était recouverte de dessins représentant un éclair. Au fond de la cellule, un homme recroquevillé était en train de dessiner un énième éclair sur le mur. Oscar Héphaïstos s’approcha de lui et tenta de communiquer doucement avec lui :

- Hum… Bonjour heu… Zeus ?

- Qui êtes-vous ? répondit l’homme qui se prenait pour Zeus en se retournant brusquement.

- Je suis le Docteur Oscar Héphaïstos, et je vais tout faire pour vous aider à sortir d’ici.

- Je ne veux pas sortir Docteur. Depuis que je suis descendu sur Terre, je suis devenu impuissant.

- Je vois. Depuis quand cela date-il ?

- Et bien en arrivant sur Terre, j’ai tenté d’approcher de belles femmes, comme je le faisais au temps jadis. Mais malgré mes efforts, je n’ai pas réussi à les séduire. Une fois, je m’étais même changé en cygne, mais ça ne m’a pas aidé. Je ne comprenais rien à cette époque, alors j’ai observé ce qui fonctionnait de nos jours. Je me suis donc inscrit sur Tinder. Mais après des jours de recherches acharnées, je n’ai pas eu le moindre match. Depuis, j’ai perdu toute ma vigueur. Je n’arrive même plus à lancer des éclairs.

- Je vois, répondit Oscar Héphaïstos. Vous avez perdu confiance en vous. Ne vous inquiétez pas, je vais vous prescrire du viagra avec des antidépresseurs, vous vous sentirez mieux dans quelques jours. Quant à vos troubles de la personnalité, c’est l’établissement qui continuera de s’en occuper.

- Quels troubles de la personnalité Docteur ?

 

    Sur cette question, le Docteur Héphaïstos nota sur son carnet le traitement dont ce patient avait besoin et prit congé de lui. Il se dirigea à présent vers la cellule numéro 7, vers la patiente qui se prenait pour Aphrodite. Il ouvrit la cellule et referma derrière lui. Cette fois-ci, les murs étaient recouverts de cœurs brisés qui ont été dessinés au feutre noir. Une femme en pleur se trouvait au fond de la cellule. Le Docteur Héphaïstos s’en approcha et la jeune femme leva la tête. Il découvrit le plus beau visage qu’il ait vu de sa vie, malgré les larmes qui y coulaient. Il prit une chaise et s’installa en face de la jeune femme :

- Bonjour Mademoiselle, je suis le Docteur Héphaïstos. Je suis là pour vous aider.

- C’est drôle, vous portez le même nom qu’un de mes anciens amants. Vous me trouvez belle Docteur ?

- Comment ? Heu… oui bien sûr, vous êtes magnifique.

- Vous le pensez vraiment ? Où vous êtes comment tous ces hommes de Tinder qui vous flattent juste pour pouvoir coucher avec moi ?

- Je le pense, et je ne cherche pas à coucher avec vous. Le directeur de l’établissement m’a appelé pour vous aider à guérir de votre mélancolie qui dure depuis plusieurs mois et dégrade votre état de santé.

- Je me sens mal car j’ai été traité comme un objet par des hommes qui m’ont flatté juste pour passer une nuit avec moi. J’ai connu de grandes histoires d’amour avec Hermès, Poséidon, Adonis et pleins d’autres. Aucun d’eux ne m’a traité comme les hommes de cette époque. J’ai l’impression d’avoir perdu mon pouvoir de séduction.

- Des hommes se comportent mal avec les femmes de nos jours, c’est vrai. Mais cela ne doit pas vous faire douter de vous.

- Aidez-moi à concocter un filtre d’amour pour que cela ne se reproduise plus avec mes futurs amants.

- Un filtre d’amour ?

- Oui, tenez j’ai la recette écrite sur ce bout de papier.

- Ma foi, si ça peut vous aider à vous occuper et à reprendre confiance en vous, je demanderai au directeur de l’établissement de vous apporter les ingrédients nécessaires. Cependant, je vais aussi vous prescrire du Xanax pour votre dépression.

- Merci Docteur. Vous êtes un amour.

 

    Le Docteur Oscar Héphaïstos sortit de la cellule et se dirigea vers le bureau du directeur de l’établissement. Il lui fit part de son diagnostic et lui proposa les traitements appropriés pour améliorer l’état de ces deux patients schizophrènes. Une fois sa tâche achevée, il se dirigea vers le taxi qui devait le ramener. Il repartit de l’asile avec le sentiment du devoir accompli.

 

    Trois jours plus tard, le Docteur Oscar Héphaïstos était tranquillement installé à la terrasse d’un café situé en bas de son immeuble. Il commanda un diabolo menthe et ouvrit le journal du jour. Il feuilleta rapidement les articles et s’arrêta à la page des faits divers. Il y lut le titre du premier article écrit en gras : « Le directeur de l’hôpital psychiatrique de l’Olympe tombe amoureux d’une patiente, tente de la violer et a été retrouvé foudroyé. Deux internés, dont cette patiente, se sont évadés suite à cet indicent ».

 

    Sur ce, le Docteur Héphaïstos finit son diabolo menthe, reposa le journal sur la table et repartit du café avec son marteau à la main tout en esquissant un grand sourire.

 

FIN